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Dédicace
Aux sources d’un destin familial
Donation Tessin
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Elle est tout ce que je ne suis pas. Fille engagée d’un destin marqué par les grands drames du dernier siècle, lectrice infatigable et insatiable, curieuse de tout et avide de connaissances nouvelles, elle m’a ouvert tous les horizons du monde. Elle a libéré ma parole prisonnière. Bien au delà de mes passions, nous nous sommes retrouvés sur des chemins que je ne soupçonnais pas dans une conscience plus profonde, plus engagée et plus responsable du monde qui nous entoure.
Au jour où l’action immédiate et soutenue se double de quelques regards sur les chemins parcourus je rassemble ici, dans le bric à brac de mes souvenirs, quelques brides de vie subjectives et incomplètes au cœur de ce voyage qui se poursuit et s’enrichit encore aujourd’hui. Un voyage plus intime auquel je n’ai pas toujours accordé l’attention nécessaire, trop absorbé par mes errances lointaines dans les savanes brumeuses de l’Afrique.
Edith m’a souvent parlé du voyage en Italie qu’elle avait effectué en Italie avec sa tante, découvrant les richesses artistiques du Quatrocento et de la Renaissance. Elle avait gardé de ce périple un souvenir inoubliable. Les arts de l’Italie n’ont, depuis lors, cessé de l’habiter.
Nous étions une bande de copains et de copines, fils, fille d’artistes qui avaient fréquenté ensemble les Beaux Arts de Genève. Par une curieux hasard nous nous sommes tous retrouvés, fils de peintres ou de sculpteurs, fille d’artisan marbrier, en Faculté des sciences pour préparer des diplômes de biologie ou de sciences naturelles.
Sur les marches de l’ancienne Université des Bastions il n’était question que d’une beauté solaire rencontrée par l’un de nos proches amis. Edith ne fréquentait pas nos cours car elle s’était engagée dans des études de chimie-biologie et d’endocrinologie, jugées alors beaucoup plus difficiles et astreignantes que nos propres filières. Son chemin, plus ambitieux et prestigieux, n’était pas le nôtre.
J’ai rencontré Edith pour la première fois au chalet du Tronchet à Saint-Gervais dans la vallée de Chamonix, un lieu d’accueil rustique que le club de montagne de mon père avait l’usage. La bande s’y était retrouvée pour quelques vacances de neige. Dans le séjour, très entourée, elle parlait avec cette passion qui ne l’a jamais quittée du dernier livre qu’elle avait lu. Sa renommée l’avait précédée en ces lieux. Je suis tombé sous le charme. Mais nous étions chacuns pris par des mondes différents. Réservé et timide, je n’étais pas personne à forcer des destins qui me paraissaient gravés dans le roc.
Nous nous sommes revus dans le mas ardéchois de l’une d’entre nous. Nous nous sommes amusés à tourner une vague ébauche de film dont nos deux amies devaient être les héroïnes, aventure sans lendemain, sitôt abandonnée. Jamais, les êtres qui hantaient mes rêveries d’étudiant ne m’avaient paru aussi inaccessibles.
Toutes les muses du monde
1964, je revenais d’Afrique et m’apprêtais à y repartir pour la troisième fois . Sans enthousiasme après une première expérience douloureuse. En ces premières années de l’indépendance du Mali, la vie dans ce pays y était particulièrement difficile. Pour un jeune sans préparation, propulsé seul dans l’inconnu, l’expérience du Tiers monde n’est jamais anodine.
J’ai rencontré Edith par hasard au Bourg de Four au cœur de le Vieille Ville. Nous sommes allés boire un café à la terrasse de la Clémence. C’était la première fois que nous nous trouvions seuls en tête-à-tête. J’ai alors eu l’impression qu’elle était la plus belle créature de la terre. Lasse de sa famille, lasse de jouer la Belle du Seigneur pour son ami d’alors, elle s’apprêtait à partir aux États Unis à l’université de Berkeley où elle avait trouvé une place dans un laboratoire d’écotoxicologie. Déjà l’on s’occupait de la pollution des mers.
J’ai eu pour la première fois l’impression que l’histoire pouvait rester ouverte, que rien n’était définitivement écrit. Mais nos chemins d’alors ne pouvaient diverger plus radicalement. Je suis rentré chez moi empli d’une insondable tristesse.
Pour Edith cela a été les années exaltantes des campus californiens, la période des mobilisations étudiantes, des sit in contre la guerre du Vietnam. Mais également la découverte du Mexique en compagnie de son compagnon d’alors, un physicien théoricien.
1970, j’étais à Genève, seul et à nouveau libre. Plainpalais, je traversais la rue Dancet pour me rendre au Département d’anthropologie où j’avais retrouvé une place d’assistant. Une voiture me claxonne… Edith est de retour à Genève. Sans s’arrêter, la voiture disparaît dans la circulation. Rentré chez moi, très ému, je cherche son adresse et lui téléphone. Je la retrouve un soir chez elle, rue Madame de Stael, une bouteille de vin à la main. Dix ans avaient passé depuis notre première rencontre. Après un séjour à Rome elle avait trouvé une place en microscopie électronique au Laboratoire de biologie moléculaire. Sans le savoir nous fréquentions la même faculté des Sciences.
Encore aujourd’hui je ne sais comment j’ai trouvé grâce auprès d’une des plus belles filles de Genève.
Il y a aussi des moments d’un bonheur intense qui s’effacent de votre vie et qui, tout à coup, se rappellent à votre mémoire défaillante, tout comme une illumination soudaine, 40 ans plus tard. Ainsi ce jour où j’ai présenté Edith à mes amis, dans un petit café du quartier des Grottes, autour d’une fondue. Paraît-il : « Alain arriva avec une ravissante jeune femme qu’il avait retrouvée et qui revenait de Berkeley nous dit-il ». Comment puis-je avoir oublié cela ?
Nous avons scellé ces retrouvailles par un voyage en Sardaigne en campant sous les oliviers et dans le pâturages parmi les moutons et en visitant des nouragues, en buvant du vin doux au bord des plages de galets. Mettant nos économies en commun nous avons acheté un grand tapis de fabrication locale. Il était impossible de le couper en deux pour nous le partager.
Nous avons tenu bon le cap dans ce voyage au parcours semé d’embûches. Il y avait mes absences africaines à supporter.
Nos deux filles ne nous ont guère laissé de répit.
Il faillait piloter à distance Béatrice, notre fille cadette l’aventurière, partie à 15 ans en Californie sur les traces de sa mère. Ecole élémentaire à San Diego, retour en Suisse pour un bac international, puis études d’informatique graphique à l’Université de San Francisco. Au delà des ordinateurs, une passion dévorante pour les chevaux.
Et puis il y a eu Myriam. École des arts déco à Genève. Une vie épanouie et d’extraordinaires dons artistiques brutalement stoppés. Notre fille errant un soir dans la rue, ne sachant plus qui elle était. L’abîme, l’angoisse, un autisme soudain. Le combat permanent d’Edith pour la santé de notre fille aînée malgré l’impuissance de la médecine et de la psychiatrie officielle. Son engagement de tous les instants pour les médecines autres et une compréhension en profondeur du fonctionnement biochimique du cerveau. Une vie décente et aimante offerte à Myriam chez nous jusqu’à aujourd’hui et de sérieux espoirs pour une vie meilleure. Quelle leçon !