Le développement d’une anthropologie générale peut être une fin en soi. Elle débouche néanmoins sur plusieurs applications. Deux d’entre elles nous retiennent particulièrement ici. La première concerne l’institution muséale aujourd’hui en profonde crise, la seconde concerne l’ethnoarchéologie proprement dite et ses applications archéologiques.
– Le musée peut rendre compte des connaissances anthropologiques à condition de se débarrasser de son enveloppe « littéraire ».
Au cours de son histoire l’institution muséale a subi de profondes mutations en relation avec le développement puis l’effondrement du colonialisme. Elle a peiné à se conformer à une vision qui ne donne pas une vue déformée et caricaturale des sociétés dont elle exposait les tristes dépouilles. Plusieurs livres nous invitent à reprendre la réflexion sur ce sujet, notamment dans le domaine hautement controversé de ce que l’on nomme aujourd’hui les « arts premiers ».
***MURPHY, M., 2009. De l’imaginaire au musée : les arts d’Afrique à Paris et à New York (1931-2006). Les Presses du Réel (Oeuvres et sociétés).
et
***MARC-OLIVIER GONSETH, JACQUES HAINARD, ROLAND KAEHR (R.) dir. 2002. Le musée cannibale. Neuchâtel : Musée d’ethnographie.
Contributions de N. Dias, E. Dubuc, S. Bahuchet, B. Wastiau, J.-C Muller, J.-L. Amselle, E. Hertz, J. Davallon, G. E. Marcus, A. Viel, M. Thévoz, H.-P. Jeudy, O, Debary, J. Bazin et J. Jamin.
C’est tout d’abord, en guise d’ouverture historique, le livre de Maureen Murphy qui nous offre, à propos de l’Afrique, une vue particulièrement claire de l’évolution de notre regard sur l’autre, c’est ensuite le catalogue « Le musée cannibale » de Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Roland Kaehr qui permet de dresser un tableau complet des métamorphoses de l’institution muséale et des errances qui ont présidé aux remises en question post-coloniales.
Deux livres nous servent de base pour proposer une vision enfin respectueuse des populations dont nous aimerions présenter les manifestations culturelles.
***GABUS, J.& HANS ERNI, H. ill., 1954. Initiation au désert. Lausanne : R. Rouge (Librairie de l’Université)
Le premier est le journal de terrain de Jean Gabus, fondateur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel, instigateur de nombreuses expositions consacrées à la culture matérielle des populations sahéliennes de Mauritanie, du Mali et du Niger. Nous découvrons dans ces lignes une vision, hélas oubliée et tombée en désuétude, proche du terrain, respectueuse de l’autre, que l’on ferait bien de revisiter aujourd’hui.
***LELOUP, H., 2011. Dogon. Paris : Somogy, éditions d’art, Musée du quai Branly
Le second est le triste catalogue « Dogon » édité par Hélène Leloup à l’occasion d’une exposition de statuaire dogon au quai Branly qui montre le vide abyssal où nous ont entraînés les visions esthétisantes et marchandes de l’art. L’occasion était trop belle. Nous n’avons pas résisté à l’envie de montrer ce que pourrait être un discours sur l’art dogon fondé sur de vraies connaissances de terrain (pourtant disponibles à l’époque), connaissances résultant des travaux menés par l’Université de Genève et notamment Caroline Robion-Bruner. A la suite de ces derniers, nous pouvons en effet montrer que les divers styles de la statuaire dogon peuvent s’intégrer parfaitement dans l’ethnohistoire des divers clans de forgerons de la région.
La vision que nous proposons, est celle que Serge Bahuchet propose dans la foulée des expériences du Musée de l’Homme et qui, malheureusement, reste encore aujourd’hui de peu d’actualité.
– L’anthropologie permet seule la constitution d’une connaissance fonctionnelle des sociétés anciennes.
***PETREQUIN, P. CASSEN, S. ERRERA, M. et al. 2012. Jade : grandes haches alpines du Néolithique européen, 5ème et 4ème millénaire av. J.-C.
Dire qu’on ne peut développer un discours sur la nature des sociétés préhistoriques sans connaissances anthropologiques n’est pour nous pas nouveau. Encore faut-il apporter la preuve de la pertinence de cette position. Les travaux menés à l’instigation de Pierre Pétrequin sur les haches polies néolithiques et publiés à l’occasion du colloque Jade en apportent la preuve éclatante. Les enquêtes menées en Nouvelle Guinée et particulièrement en West Papoua (ex Irian Jaya) ont en effet débouché sur de découvertes européennes spectaculaires comme celles des ateliers de taille du Mont Viso et sur une complète réévaluation de la nature des sociétés à l’origine du mégalithisme carnacéen.
L’intimité avec les fabricants de haches papous a permis à Pierre Pétrequin d’acquérir une connaissance approfondie du sujet qui passe d’abord par une empathie profonde avec ses partenaires et débouche sur des actions de recherche particulièrement efficaces au niveau préhistorique dont il convient de décrypter les mécanismes intimes. Il faut également souligner que la connaissance empirique nécessite, là bas et ici, un investissement physique considérable (notamment dans la recherche des gîtes pétrographiques) sans commune mesure avec tout ce qui a été entrepris auparavant dans le domaine. Preuve s’il en est que la réflexion épistémologique pure et dure dans le domaine de l’ethnoarchéologie n’est d’aucune utilité si elle n’est pas associée à un profond respect de ses partenaires et un investissement physique et personnel sans limite.
Ces travaux renouvèlent profondément notre compréhension des fondements économiques, sociaux et politiques des sociétés néolithiques de l’Europe de l’Ouest, de quoi faire réfléchir ceux qui considèrent avec dédain l’utilisation du « comparatisme ethnographique ».
***EXPO BOOMERANG Colombo-Dougoud (éd.) 2017. L’effet boomerang : les arts insulaires d’Australie (catalogue d’exposition). Genève : Musée d’ethnographie. Gollion : Infolio Et dossier de presse
Le 2 décembre 2001 Genève refusait en votation le projet de nouveau musée d’ethnographie prévu à l’emplacement de la place Sturm. Nous avions proposé à l’époque d’intégrer physiquement dans ce projet le Département d’anthropologie de l’Université, persuadé que musée et institution académique avaient tout à gagner de cette proximité. La campagne avait été rude (Raeli 2003). On reprochait notamment au projet d’être mal ficelé, peu fonctionnel et surtout trop dispendieux.
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