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Aux sources d’un destin familial
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Le livre de Georges Guille-Escuret m’intéressait pour deux raisons :
– la première, opportuniste, renvoyait à mon implication dans les discussions tournant autour du cannibalisme du site néolithique rubané d’Herxheim, qui avait eu lieu à Agde (2007), puis à Strasbourg (2008), ainsi qu’autour de la question des têtes trophées, abordée lors de la rencontre des Eyzies (2010).
– la seconde, plus profonde, concernait mon profond intérêt pour l’anthropologie comparative : enfin un livre abordant transversalement, à travers les continents, l’analyse d’une question générale.
Sur ce second point la réussite du livre est spectaculaire, tant au niveau du corpus de connaissances que des problématiques engagées et, d’une manière générale du contenu (pour autant que l’on puisse saisir exactement ce que l’auteur veut démontrer).
Il faut par contre avouer que la forme de la prose se révèle particulièrement indigeste. Jamais ce travers des sciences humaines, qui consiste à revendiquer la littérature ou à y succomber, n’a été porté à un niveau aussi caricatural, au point de rendre le texte pratiquement inintelligible à force de tournures alambiquées. Jamais un texte n’a révélé à ce point, de fait, ce travers « ni science, ni littérature » revendiqué par les partisans d’une autonomie des sciences humaines, bien que je ne connaisse pas la position de l’auteur en la matière.
Il faut donc s’astreindre à un épuisant travail de traduction et d’interprétation pour tenter d’extraire les composantes pertinentes des démonstrations. C’est ce que j’ai tenté de faire ici en résumant ce qui me semble essentiel sous forme d’une série de propositions que je juge, à tort ou à raison, comme pertinentes pour l’auteur et en proposant un schéma synthétique (fig. 1). J’espère ainsi fournir au chercheur une base sur laquelle pouvoir fonder une éventuelle discussion. Le style du texte rendait cette entreprise particulièrement périlleuse ; je demanderai donc à l’écrivain toute son indulgence pour les omissions ou les contresens résultant d’une lecture déficiente qui pourraient altérer la pensée de l’auteur.
Je commencerais par évoquer brièvement le cas du site Néolithique d’Erxheim dans le Palatinat. Il s’agit en effet d’une étude archéologique et biologique particulièrement exemplaire d’un site qui a livré des restes humains en relation avec des pratiques anthropophages (Boulestin 2012 ; Boulestin, Coupey 2015). Cela me permettra de contraster des données issues de l’archéologie avec l’enquête menée par Guille-Escuret en montrant les différences dans la nature des informations obtenues mais également les ponts que l’on peut établir entre archéologie et enquêtes ethnohistoriques et les imites rencontrées dans ce genre d’exercice.
Le site néolithique d’Erxheim, dans le Palatinat, appartient à la dernière phase du développement de la Culture de la céramique rubanée. Il est situé entre 5300-4950 BCE. Il s’agit d’un village entouré d’une double fossé circulaire composé de la coalescence de plusieurs fosses allongées qui pourraient ne pas avoir été creusées simultanément. Ces fossés ont livré de multiples ossements humains, le plus souvent en vrac, ne comportant qu’une faible proportion d’ossements en connexion.
On peut se demander si les ossements humains jetés sans ménagement dans ces fossés correspondent à le dernière phase d’un rituel ou si les dépôts sont intervenus le rituel une fois achevé, les vestiges ne témoignant alors que d’un processus d’abandon sans signification intrinsèque, une question impossible à résoudre. La composante rituelle des pratiques situées en amont du processus taphonomique peut néanmoins difficilement être contestée.
La présence de coupes aménagées dans des calottes crâniennes est l’une de caractéristiques majeures de l’assemblage d’Erxheim. L’élargissement du référentiel archéologique montre que tous les sites évoqués ont livré, associés aux coupe crâniennes, d’autres restes osseux humains que des études détaillées indiquent sans contexte comme se rapportant à des pratiques de cannibalisme. Selon les auteurs antiques les Celtes et notamment les Boiens utilisaient des coupes crâniennes pour boire. Selon Hérodote les Scythes immolaient les étrangers, se nourrissaient de leurs chairs et buvaient dans leurs crânes. La coupe crânienne a clairement le sens de trophée, auquel paraît s’ajouter une dimension supplémentaire qui tient de l’outrage. On notera pourtant que la possession de coupes crâniennes peut avoir une signification radicalement opposée et être considérée comme une marque d’honneur envers son ancien propriétaire comme c’est le cas au Dahomey.
Des coupes peuvent également être en relation avec un endocannibalisme funéraire.
Mais les coupes ont probablement plus de neuf chances sur dix d’avoir été façonnée dans le crâne d’un ennemi plutôt que dans celui d’un parent. L’idée de coupes reliques semble ne pas correspondre avec les nombreux indices d’une utilisation très ponctuelle de ces dernières (Boulestin 2012).
Coupes crâniennes et pratiques de cannibalisme semblent en relation possible avec des situations de crise et avec des phases de transformations brusques de certaines sociétés. Dans le cas d’Erxheim les sites suivant immédiatement les dernières phases du Rubané livrent des manifestations culturelles très différentes.
A Erxheim de telles pratiques peuvent difficilement être contestées. De nombreuses traces de violence ante-mortem coexistent avec des traces en relation avec la consommation des chairs et la fabrication de coupes crâniennes.
Les causes de ces anomalies de représentations sont multiples :
Les modifications des os post-mortem comprennent des incisions en relation avec le processus de décarnisation, notamment le prélèvement de la peau des crânes, des impacts de coups dus à l’extraction de la moelle ainsi que des machouillages des extrémités spongieuses liés à la consommation de la moelle.
La face et les mâchoires révèlent des traces de brulures. L’action du feu a notamment affecté les parties peu protégées par les chairs soit la partie antérieure des maxillaires et des mâchoires faisant éclater les dents. Cette situation est connue dans le cas de la cuisson des pièces de gros gibier. Après le rotissage en feu ouvert les corps étaient démembrés avant d’être consommés.
Selon Boulestin (Boulestin, Coupey 2015), il convient d’abandonner toutes classification des cannibalismes basée sur les motivations ou les fonctions.
Il est possible de proposer une classification fondée sur une double dichotomie :
Niveau 1 : opposition entre cannibalisme institutionnalisé et résultats relevant de l’accidentel se situant en dehors des normes
Niveau 2. opposition entre endocannibalisme (cannibalisme funéraire par exemple) et exocannibalime (cannibalismer de guerre).
Les données d’Herxheim correspondent à un exocannibalisme en relation avec une violence armée intergroupe.
Les fossés contiennent également des céramiques qui présentent la particularité de ne pas correspondre au plan esthétique aux céramiques locales sans qu’il soit pour l’instant possible de savoir si elles ont été fabriquées sur place ou si elles proviennent de zones étrangères. Les sols loessiques extrêmement homogènes sur lesquels se développent le Rubané rendent pour l’instant impossible la détermination des lieux d’origine des argiles utilisées.
Trois caractéristiques doivent retenir notre attention :
Fig. 1. Régions d’origine des styles céramiques étrangers présents à Herxheim. 1. Blicquy, 2. Rhin-Moselle (style de Plaidt), 3. Rhin-Main (Style de Schraffur), 4. Nord Hesse (styte de Leihgestern), 5 Elster-Saale, 6. Neckar, 7. Bohème (Style de Sarka), 8 . Bavière (Boulestin, Coupey 2015, fig. 125).
Les origines des individus des fossés renvoient également à de possibles origines étrangères. Les rapport Strontium 87Sr/86Sr mesurés sur les premières molaires permanentes et secondes molaires déciduales pour 74 individus permettent de construire une courbe trimodale se rapportant à trois populations distinctes :
Les ensembles 2 et 3 ne semblent pas liés à des zones loessiques. En l’état de nos connaissances on ne connaît aucun cimetière se situant dans cette fourchette. La plupart des individus dont les restes se trouvent dans les fossés sont donc d’origine externe et témoignent de massacres de communautés étrangères dans un climat de violence guerrière.
Au niveau ethnographique la modèle Tupinamba, non évoqué par Boulestin, me semble apte à rendre compte la situation et permet d’envisager la production sur place de céramiques stylistiquement étrangères. On voit en effet difficilement des guerriers rentrant d’un raid en pays ennemi en emportant des poteries. On possède chez Staden (1557/2005) un témoignage extrêmement précis du XVIes. montrant que les prisonniers pouvaient vivre une période relativement longue dans le village de leurs ravisseurs avant d’être mangés, une situation résumées dans la préface du livre par Jean-Paul Duviols .
« C’était le transfert d’une communauté dans une autre, soit une relation beaucoup plus complète que le paroxysme agressif du combat. Le prisonnier-esclave devait chasser et pêcher pour son maître ; il habitait sous le même toit et partageait ses repas avec lui ; il pouvait avoir des rapports sexuels avec les femmes non mariées de la tribu et par conséquent avoir des enfants (…). La durée de la captivité était très variable : de quelques heures (les vieillards principalement), à plusieurs années. Le jour du sacrifice était déterminé par le conseil des guerriers (…). Le bourreau était généralement celui qui avait capturé la victime (…). Dès qu’il était mort, son cadavre était roussi sur le boucan, puis dépecé avant d’être rôti. » (Staden 1557/2005, p. 26-27).
Ce témoignage renforce donc l’idée que des femmes captives pouvaient s’adonner à des tâches artisanales dans le village de leurs ravisseurs tout en conservant les savoir-faire qui étaient les leurs. Il milite en faveur d’expéditions guerrières rayonnant à partir du village plutôt que pour la convergence d’individus étrangers en direction de l’agglomération.
Si l’on revient maintenant à Guille-Escuret il est possible de résumer son argumentation par une certain nombre de propositions (fig. 2).
– L’anthropologie s’est montrée particulièrement décevante face à l’objectif de construire une sociologie comparative. Ceci est particulièrement vrai pour le cannibalisme.
– On a soutenu à propos du cannibalisme, notamment à la Société d’anthropologie de Paris, quatre positions :
– l’étude du cannibalisme nécessite une méthode globale.
– La règle doit l’emporter sur l’exception dans la formulation d’une conclusion, mais l’exception doit être placée en première ligne dans le processus de la recherche.
– l’approche structuraliste des faits sociaux reste insuffisante pour comprendre des situations insérées dans l’histoire.
D’une manière générale, le cannibalisme d’oppose, notamment en Eurasie aux sociétés étatiques et despotique et aux religions universalistes.
– En Eurasie, le développement des civilisations étatiques a fait régresser et disparaître le cannibalisme.
– En Eurasie, la disparition du cannibalisme est liée à la conjonction de plusieurs facteurs : centralisation de l’État, floraison des religions universalistes, défense des voies commerciales au-delà des bouleversements politiques.
– En Eurasie, l’exclusion concerne aussi bien l’endocannibalisme que l’exocannibalisme et la chasse aux têtes s. str., ainsi que, dans une moindre mesure, les trophées corporels.
– Dans le monde, à l’exception des Aztèques, le cannibalisme est incompatible avec les puissantes hiérarchies sociales (chefferies et États).
– Dans le monde, le cannibalisme est souvent associé à des privilèges qui varient selon les sociétés. Les sociétés hiérarchisées ne peuvent tolérer ces privilèges au-delà d’un certain seuil.
– La disparition systématique du cannibalisme en Eurasie s’oppose au caractère sporadique et disparate du cannibalisme dans les autres régions.
– Ces cinq derniers siècles le cannibalisme se rencontre 1. dans les zones forestières (Tupis et autres amazoniens, peuples bantous et oubanguiens, Papous, Iroquois, Mayas-Toltèques, etc.), 2. sur les côtes maritimes, particulièrement dans les archipels (Antilles, Polynésie, Mélanésie, Côte nord-ouest de l’Amérique).
– Dans le monde, le complexe cannibalisme-chasse aux têtes s. lat. se retrouve dans tous les grands massifs forestiers et les archipels, à l’exception des zones contrôlées par des sociétés despotiques/étatiques.
En Afrique la période des découvertes portugaises antérieure à la diffusion de l’Islam permet de confirmer les proposions précédentes. Le cannibalisme est incompatible avec des sociétés de classes et les royaumes se développant un contexte pré-étatique.
– En Afrique, il convient d’isoler une période intermédiaire entre le « passé immémorial » et l’impact arabe (Islam) et européen (catholicisme).
– En Afrique, cette période intermédiaire, contemporaine des découvertes portugaises, voit se développer des royaumes et des sociétés de classes développant des systèmes d’inégalités nouveaux inconciliables avec le cannibalisme plus ou moins sporadique de cette époque.
– En Afrique, dans les royaumes, comme celui du Kongo, comprenant des classes sociales, la constitution d’une importante classe servile provenant de prises de guerre, économiquement stratégique, s’accorde mal avec une anthropophagie fréquente.
D’une manière générale le cannibalisme se développe dans des sociétés horticoles et épargne les grandes sociétés d’éleveurs.
– Dans le monde, et au-delà de l’Océanie, le cannibalisme est associé à des écosystèmes généralisés avec création de jardins, culture de tubercules (igname, taro, patate douce, manioc), de bananiers, et de palmiers.
– Dans le monde, le cannibalisme ne se développe pas dans les sociétés d’éleveurs, malgré la réputation de violence bien établie de ces derniers.
– Dans le monde, le cannibalisme se retrouve chez des populations horticoles sédentaires en compétition pour la maîtrise de terroirs.
– Dans le monde, le cannibalisme se retrouve chez des populations horticoles itinérantes chez qui la guerre n’est pas liée à la maîtrise de terroirs.
Cannibalisme et horticulture en Afrique
– En Afrique, le cannibalisme se développe dans les zones de forêts tropicales abritant des économies horticoles sur brûlis, mais épargne les sociétés de chasseurs-cueilleurs comme les Pygmées.
Comme c’est souvent le cas en Afrique certaines particularités culturelles peuvent se trouver associées à des contextes linguistiques particuliers.
– En Afrique, le cannibalisme est lié aux populations de la superfamille linguistique dite nigéro-congolaise, qui contient notamment les langues bantoues, oubanguiennes et mandés.
Extension géographique du phylum Niger-Congo montrant la grande extension de la famille bantou.
En Afrique le cannibalisme est lié à la violence guerrière et à certaines pratiques de sorcellerie. On ignore ce qu’il en était avant le développement de l’esclavage marchand.
– En Afrique, le cannibalisme, présent sur une douzaine d’États contemporains, est lié à l’Ouest à la sorcellerie et aux confréries clandestines, vers l’Équateur aux affrontements guerriers.
– En Afrique (Équateur), le cannibalisme est lié au retour historiquement provisoire des compétitions guerrières horizontales entre organisations sociales acéphales.
– En Afrique, le cannibalisme est lié au système en perpétuel réaménagement opposant les processus de fusion-fission (cadrés par le lignage) et les rapports hostilité-alliance (à l’extérieur de la filiation), un système ayant fonction d’adaptabilité.
– En Afrique (Lobaye), l’intensité du rapport fraternité-hostilité est proportionnelle à la puissance des liens de parenté.
– En Afrique, la guerre peut s’affranchir des contraintes de la vendetta au-delà d’un seuil d’éloignement où les combattants peuvent espérer que les victoires et les butins conquis ne donneront pas lieu à vengeance.
– En Afrique, les organisations sociales acéphales tendent à être jugulées ou contenues par les formations étatiques esclavagistes.
– En Afrique, on ignore ce que pourrait être un cannibalisme primitif indépendant des interférences constatées avec les sociétés esclavagistes.
– En Afrique, la consommation conjointe d’esclaves apportés par les deux camps et mis à mort peut participer à la conclusion d’une paix scellée en limites des deux territoires ennemis.
– En Afrique (Nigeria), les esclaves sont des biens de prestige. On peut les vendre afin de préserver les rapports de force internes et éviter que l’accumulation du prestige ne crée une inégalité économique.
– En Afrique (Fang), on peut envisager une forme de cannibalisme classique ayant gardé une large autonomie par rapport à l’esclavage.
En Afrique des pratiques cannibales peuvent se retrouver dans des sociétés secrètes liées à la magie en relation avec le rejet des contraintes étatiques.
– Les sociétés secrètes sont liées à la magie.
– En Afrique, on peut opposer les sociétés pratiquant la circoncision marquant l’entrée des hommes dans l’âge adulte aux sociétés associant cannibalisme et sectes pratiquant une sorcellerie qui pense l’homme accompli sous la forme d’un guerrier.
– En Afrique, les initiations tribales ne sont pas la source exclusive des sociétés secrètes. Ces dernières répondent au besoin de se protéger contre le mauvais sort et les maladies, de conquérir la force et la richesse, de s’affranchir de la domination étrangère.
– En Afrique, la société secrète est conçue de façon à répliquer à l’ordre comme au désordre, car, tournée vers l’acquisition cachée de pouvoirs secrets. C’est un lieu stratégique d’adaptation aux aléas de l’environnement social et un contre-pouvoir excentré, mais endogène, surmonté par un pouvoir central exogène.
– En Afrique, l’anthropophagie liée à l’accession d’un individu à une secte est conçue comme une transgression impliquant un acte de rébellion.
– En Afrique, des objets sacrés liés aux sociétés secrètes peuvent nécessiter des offrandes périodiques de sang et de graisse humaine afin de régénérer leur puissance.
– En Afrique, la persistance de la magie impliquant assassinat et anthropophagie est liée à une perception de l’État en tant que corps social étranger.
– En Afrique, les sociétés d’hommes panthères se multiplient en réaction contre les ravages engendrés par un pouvoir extérieur.
– En Afrique, les conditions de passage de la magie anthropophage des petites communautés acéphales en contre-pouvoirs face aux pressions extérieures restent inconnues.
Guille-Escuret regroupe sous le terme de « chasse aux têtes » (ici chasse aux têtes s. lat.) deux phénomènes qu’il distingue pourtant : la chasse aux têtes d’Asie du Sud-Est (ici chasse aux têtes s. str.) et le prélèvement de têtes comme trophées de guerre (ici prélèvement de têtes trophées).
En Asie du Sud-Est la pratique de la chasse aux têtes n’est pas associée au cannibalisme.
– En Asie du Sud-Est, la chasse aux têtes est liée à un large éventail de peuples indonésiens.
– En Asie du Sud-Est, la chasse aux têtes, dont la désignation a une profondeur linguistique certaine, a probablement une origine ancienne.
– En Asie du Sud-Est (de la zone malaise à l’Océanie), la chasse aux têtes et le traitement particulier et soigneux de la tête est associé à des rites agraires axés sur la fertilité.
– En Asie du Sud-Est, la consistance culturelle et historique de la chasse aux têtes liée aux populations austronésiennes horticoles s’oppose au caractère labile du cannibalisme.
En Afrique un cannibale peut être coupeur de tête, mais l’inverse n’est pas toujours vrai.
– En Afrique, aucun conflit n’est délibérément engagé pour se procurer des têtes.
– En Afrique, l’aire occupée par la pratique des têtes trophées (de la Guinée portugaise au Cameroun) englobe et déborde l’aire du cannibalisme. Un cannibale coupe souvent la tête de son ennemi, mais un coupeur de tête n’est pas toujours cannibale.
– En Afrique, les têtes trophées ne sont que des emblèmes de victoire souvent disposés en tas dans les villages. Elles expriment la puissance guerrière de la communauté, mais peuvent être rapidement abandonnées.
En Afrique le cannibalisme lié aux coutumes funéraires témoigne d’une dégradation dramatique des fondements culturels.
– En Afrique, les cas d’anthropophagie portant sur certains individus mis à mort à l’occasion des funérailles d’un individu important se répandent sur une large zone et correspondent à une période où l’anthropophagie est étendue aux corps des ennemis.
– En Afrique (bassin congolais au XIXe siècle), le cannibalisme associé aux coutumes funéraires est lié à une dégradation dramatique du pouvoir politique.
En Afrique le cannibalisme se développe juste avant l’emprise coloniale et doit être pensé dans le déroulement de l’histoire.
– En Afrique, le cannibalisme doit être interprété comme le résultat de crises ponctuelles insérées dans une crise plus large se déroulant sur une période de quatre siècles précédant l’emprise coloniale.
– En Afrique, le cannibalisme se situe en marge de la traite et doit être conçu comme une réaction au trafic d’esclaves, réaction qui rejette la tentation d’un esclavagisme de riposte.
– En Afrique, manger son ennemi ou l’adopter, revient à refuser de corrompre son identité de guerrier en refusant de considérer les prises de guerre comme des richesses marchandes susceptibles d’être commercialisées.
– En Afrique, la sédentarisation complète voulue par les colons a aggravé les conflits en supprimant les apaisements périodiques de la mobilité.
– En Afrique, le cannibalise ne peut être compris qu’inséré dans l’histoire. L’Afrique s’impose comme le continent où il est le plus malhonnête, voire le plus fou, de penser des sociétés sans histoire (fig. 2).
Le modèle proposé doit être envisagé sur le plan général de la liaison entre cannibalisme et horticultures forestières à l’écart des centres de développement des civilisations étatiques et sur le plan africain. Il faudra attendre la lecture des deux ouvrages suivants consacrés à l’Asie du Sud-Est et à l’Océanie (qui vient de paraître) et sur l’Amérique (annoncé) pour se faire une idée d’ensemble. Les présentes remarques ne sont donc que provisoires.
BOULESTIN B. 2012. Quelques réflexions à propos des coupes craniennes préhistoriques. : In : Boulestin B., Henri Gambier D. (éds). Crânes trophées, crânes d’ancêtres et autres pratiques autour de la tête : problèmes d’interprétation en archéologie. Actes de la table ronde plurisisciplinaire, Musées national de préhistoire, Les Eyzies-de-Tayac (Dordogne, France), 14-16 octobre 2010. Oxford : Archaeol press (BAR international series 2415).
BOULESTIN B., COUPEY A.-S. 2015. Cannibalism in the linear pottery culture : the human remains from Exheim. Oxford : Archaeopress archaeology.
GALLAY A. 2013a. Biens de prestige et richesse en Afrique de l’Ouest : un essai de définition. In : Baroin C., Michel C. (éds). Richesse et sociétés. Colloques de la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie René Ginouves, 9. Paris : de Boccard, p. 25-36.
GUILLE-ESCURET G., 2010. Sociologie comparée du cannibalisme : 1. proies et captifs en Afrique.Paris : PUF.
STADEN H. 1557/2005.Véritable histoire et description d’un pays habité par des hommes sauvages nus et anthropophages situés dans le nouveau monde nommé Amérique inconnu dans le pays de Hesse avant et depuis la naissance de Jésus Christ jusqu’à l’année dernière. Paris : Métaillé.